Rêves éveillés
Galleria, Musée de la Chasse et de la Nature
16.11.21 - 20.03.22
Au 62 rue des archives dans le troisième arrondissement à Paris, la façade accueille des hautes fenêtres espacées au millimètre près. Le long mur couleur claire est d’une propreté impeccable, les pavés sont soigneusement entretenus, les passants élégants se croisent à une cadence soutenue. L’étroitesse de la ruelle empêche le soleil de réchauffer les dalles parfaitement alignées du Marais. Dans cet univers “bien comme il faut”, peu de place pour le rêve. Le Musée de la Chasse et de la Nature choisit de rompre avec les codes esthétiques de sa façade : le ton est donné, l’enseigne est de couleur orange vif. C’est alors avec surprise et enchantement que nous découvrons qu’à travers la rigidité de ces murs se cache un joyau du passé : un hôtel particulier datant du XVIIIe siècle. La mise en lumière de la collection du Musée de la Chasse et de la Nature pourrait paraitre anachronique : il accueille un pêle-mêle d’armes en bois, de tableaux de maîtres, d’objets faisant référence à la chasse et de mobiliers insensés. L’exposition de cette collection, dont le sujet principal fait aujourd’hui polémique dans nos sociétés occidentales, pourrait en faire fuir plus d’un. Pourtant, le Musée de la Chasse et de la Nature fait preuve d’une étonnante contemporanéité. Fraîchement rénové entre 2019 et 2020, son parcours muséographique restitue l’ambiance d’une cabane de chasseur esthète tout en accueillant régulièrement le travail d’artistes contemporains. C’est l’Œuvre d’Eva Jospin qui est à l’honneur cet automne. Elle invite ses visiteurs à parcourir ses forêts immersives minutieusement découpées dans le carton, son matériau de prédilection. « Galleria » se déploie à la fois dans la salle dédiée aux expositions temporaires tout en se mélangeant dans les différents espaces du Musée de la Chasse et de la Nature. Un dialogue audacieux – voire épineux - où la déambulation se trouve au cœur de l’expérience du visiteur.
Un parcours scénographique axé sur la déambulation
La première installation d’Eva Jospin est située dans la salle des expositions temporaires du musée. L’artiste choisit comme titre “Galleria”, mot intéressant pour sa polysémie. En italien, il désigne à la fois un passage couvert, un tunnel ou une galerie d’art. Eva Jospin décide de travailler avec l’ambiguïté du sens de ce mot qui, à son tour, joue avec les sens du spectateur. A première vue, le passage recouvert s’apparente à une grotte. Lorsque nous nous rapprochons des fondations, nous y voyons une forêt. Si nous nous avançons encore nous comprenons que les troncs ont été minutieusement découpés dans le carton. Enfin, lorsque nous pénétrons à l’intérieur de cet espace indéfini, nous traversons une galerie avec douze niches qui représentent une vision microscopique du travail de l’artiste : des forêts, de la broderie, des représentations mythologiques…
Eva Jospin, vue de l’exposition “Galleria”, salle des expositions temporaires, Musée de la Chasse et de la Nature, novembre 2021 © Béatrice Hatala
En choisissant d’exposer cette galerie en début de parcours d’exposition, Eva Jospin place le thème de la déambulation au centre du parcours muséographique. Déambulation physique – car nous devons parcourir les deux étages du musées pour percevoir l’ensemble du travail de l’artiste – mais aussi mentale. Le visiteur, dès le premier espace d’exposition, se retrouve face à cette porte d’entrée onirique qui le plonge dans le travail de l’artiste. Il est invité à la rêverie tout en étant conscient, à mesure de ses pas, de la tromperie d’une telle installation. Le rêve face à cette forêt subsiste, alors que l’œil est bien conscient que son horizon ne dépasse pas les 60 cm.
Les forêts d’Eva Jospin, des rêves éveillés
« Il faut oublier le décor, il faut affronter le vide sans le déranger – Le décor doit être un acteur à part entière. Faire un seul bloc, un seul souffle, une seule respiration. »
Archive de Richard Pedduzzi, scénographe
Eva Jospin, Carton Plein, La Grande Table de la Culture, France Culture, 2O21
Construire des décors immersifs, fabriquer la nature, faire des paysages en révélant son côté industriel, en le mettant à nu. Le thème de la forêt a toujours fasciné Eva Jospin : il entrelace des antagonismes qui nous préoccupent. A la fois entité inquiétante, chaotique et impénétrable, la forêt fascine et invite au rêve. Elle renferme entre ses branches une hétérogénéité foisonnante tout en conservant une fluidité remarquable. La forêt est un thème universel tout en siégeant au cœur de l’intimité de chacun. Eva Jospin jongle avec ces notions en faisant appel à l’illusion d’une nature primitive faite de carton et de matériaux industriels. Elle découpe les troncs, creuse la surface, travaille l’univers dans un matériau brut et sobre afin de donner l’impression d’y être pour de vrai, plongé.es dans l’univers onirique de la forêt.
Eva Jospin, Forêt, 2010, © Eva Jospin, ADAGP, 2021
Au musée de la Chasse et de la Nature, Eva Jospin choisit de travailler de deux manières : installer une galerie comme porte d’entrée dans son travail puis déployer ses œuvres qui se mélangent avec la collection du musée de la Chasse et de la Nature. Bien qu’appartenant à des époques très différentes, la qualité de la scénographie tisse une relation intime entre les objets de la collection et les œuvres d’Eva Jospin. Plusieurs états de nature y sont évoqués, de la création et du temps qui se dilate dans les espaces du musée. Le visiteur est invité à une balade poétique au cœur de la forêt alors que la ville siège à la porte d’entrée du musée. En accueillant les œuvres d’Eva Jospin, le Musée de la Chasse et de la Nature a encore frappé : ses espaces se transforment en bulles méditatives, éveillant souvenirs intimes et rêveries universelles. Malgré la compexité de la nature de sa collection, cette exposition témoigne de sa capacité à faire peau neuve en faisant confiance à la création contemporaine, en la soutenant inlassablement.
Marie Chappaz