Entre corps et âmes
Exposition Cristina Banban, Galerie Perrotin, Paris
19.03.22 - 28.05.22
Cristina Banban, Les senyoretes, Oil, oil stick on linen, 182.9 x 228.6 cm | 72 x 90 inch, unique
“La symétrie est un fait de nature, jouer de la symétrie est un fait de l’art” (1) dit Jean Clair dans l’ouvrage une leçon d’abîme. À la loi de la nature l’artiste espagnole Cristina Banban oppose la fantaisie de l’art. En prenant les humains comme sujet - et plus précisément les femmes - Cristina Banban présente des corps qui se tordent, se découpent et s’entremêlent. Dans sa première exposition personnelle en France à la galerie Perrotin, l’artiste entrelace des formes voluptueuses afin de conjuguer chairs et âmes. Les mains gigantesques se croisent et s’étalent sur les surfaces planes de la toile ; les yeux larmoyants de ses personnages sont assez larges pour faire passer l’émotion vive.
Dans la peinture de Cristina Banban, les styles se mélangent. Ses peintures sont influencées par son histoire personnelle : son parcours géographique, ses migrations, ses lectures artistiques. La déformation des corps nous rappelle quelques célèbres tableaux de Pablo Picasso qui dérèglent les proportions des corps féminins. En procédant ainsi, il essayait de “voir sous la peau”, de capter en ses sujets l’essence pure, jusque dans la chair. Cependant, les corps feminins sexualisés de Pablo Picasso (qu’il possédait jusque dans sa vision) sont substitués par une symbiose faite de courbes douces et libres. Les yeux larmoyants des sujets de Cristina Banban, quant à eux, pourraient nous faire penser aux regards des protagonistes du Greco (et plus particulièrement '“Saint-Marie-madeline-pénitente’ qu’il peint en 1580). Ici aussi, le net désespoir éveillant l’empathie du spectateur est remplacé par un regard assuré. La posture de la jeune femme est vaillante et affirmée.
Le Greco, Saint-Marie-Madeleine penitente, huile sur toile, 108x101 cm, 1578-1580, Worcester Art Museum, Etats-Unis
Cristina Banban, Woman I, huile sur toile, 190.5x139.7cm, 75x55 inch, 2021
Ces rapprochements anachroniques témoignent des influences du modernisme figuratif européen (rappelons que Le Greco est considéré comme l’un des pionniers du modernisme en peinture) mêlés à une abstraction gestuelle forte (que l’on apparente plutôt à l’avant-garde américaine). Cristina Banban est une artiste d’origine espagnole : elle nait à Barcelone et y grandit avant de rejoindre les Etats-Unis où elle réside actuellement. Ses peintures sont intimement liées à sa vie et ce, jusque dans sa chair : il s’agit presque d’autoportraits. Dans le journal l’Officiel l’artiste confie que “Toutes les peintures sont profondément personnelles et sont la résultante d'un regard introspectif. Souvent, elle base ses peintures sur ses propres traits ou sur des personnes proches. Dans d'autres travaux, cependant, les personnages sont fictifs.”. Cristina Banban utilise presque toujours sa propre physionomie comme modèle. En parfaite connaissance de son corps, elle est habile avec ses formes et joue frénétiquement avec elles. Ses personnages sont le résultat d’une folle liberté d’expression. Dans son geste vif et plein, les femmes représentées par Cristina Banban s’affranchissement et cherchent à pousser les limites du cadre. Elles s’émancipent dans leurs formes ; deviennent dignes dans leurs chairs et ce jusque dans leurs yeux. Une symbiose bienveillante avec pour toile de fond l’éveil de la sororité.
Marie Chappaz
(1). Jean Clair, Une leçon d’abîme, neuf approches de Picasso, Art et Artistes, Gallimard, 2005, p.116