Repartir de Zéro
Georg Baselitz, La rétrospective, Centre Georges Pompidou, Paris
20.10.21 - 07.03.22
Au sixième étage du Centre Georges Pompidou à Paris, dans les espaces de la grande galerie annexant l’exposition prisée de l’américaine Georgia O’Keffe, un hommage est rendu à l’un des artistes majeurs de la scène internationale contemporaine : l’allemand Georg Baselitz. Il s’agit d’une vaste exposition mise en place avec la complicité de l’artiste lui-même, rassemblant près de soixante ans de productions artistiques. Aujourd’hui âgé de 84 ans, Georg Baselitz a accumulé les casquettes faisant de lui un personnage singulier dans le monde de l’art. La critique le définit comme faisant partie des inclassables : il oscille entre la figuration et l’abstraction et a toujours remis en cause les formes esthétiques de la représentation. La rétrospective du Centre Pompidou plonge le visiteur dans l’univers puissant de l’artiste, en abordant son œuvre de manière chronologique. Nous traversons les périodes les plus marquantes de son travail, en appréciant les nouvelles techniques picturales, les nouvelles expérimentations et les nouveaux médiums qui ont ponctué la carrière prolifique de Georg Baselitz. Son art n’a cessé de renverser les codes et les pratiques si bien qu’il fut nommé « peintre du scandale et de la provocation » tant son œuvre bouleverse par son audace. Retour sur la rétrospective de Georg Baselitz au Centre Pompidou, une exposition qui vous fera tourner la tête !
Des créations déviantes, des débuts tumultueux
Comment peindre pendant l’après-guerre ? Comment démontrer que l’art n’est pas un objet décoratif ? Comment rendre visible l’atrocité par le biais de l’art ? Né en 1938 en Allemagne, Hans-Georg Kern emprunte le pseudonyme de Georg Baselitz à 23 ans, en souvenir de sa ville natale Deutschbaselitz. Si il change de nom très tôt, c’est qu’il eut l’intime conviction que ses débuts en tant qu’artiste n’allaient pas passer inaperçus. Cette impression n’a pas manqué à l’appel : sa première intervention publique en 1963 à la galerie Werner & Katz à Berlin Ouest lui a valu un procès très médiatisé. Les forces de l’ordre confisquent son œuvre La grande nuit foutue, représentant un homme au sexe démesuré entrain de se masturber. Un acte de provocation puissant de la part de l’artiste qui manifeste sa colère après la guerre, en dépassant les limites des codes traditionnels de la peinture.
A ses débuts, Georg Baselitz est révolté. Il s’indigne contre les atrocités de la guerre lorsqu’il découvre les horreurs commises par Adolf Hitler et le régime national socialiste. La peinture devient un moyen d’expression pour panser sa blessure. Une plaie profonde causée par la cruauté humaine ayant atteint son paroxysme. L’artiste cherche à comprendre quoi peindre après la guerre, se cherchant peut-être aussi lui-même dans ce paysage dévasté. La rétrospective au Centre Pompidou s’ouvre sur cette période de flottement : des peintures aux représentations déviantes, des parties de corps blessées, sanglantes, démantelées mêlées à un autoportrait, dont le titre se réfère à l’initial de son prénom Georg. L’œuvre G. Kopf (1960-61) a été peinte à partir d’une image du cas 13 illustrations 56 du texte scientifique publié en 1922 dans le catalogue de la collection Hans Prinzhorn (qui rassemblait des oeuvres de malades mentaux). Cette même collection avait été présentée lors de l’exposition d’art dégénéré de 1937 par le régime national socialiste, destiné à humilier les avant-gardes artistiques. Une tête isolée de son corps flotte dans un espace incertain et tourmenté. Par ce geste, Georg Baselitz traduit la difficulté de peindre dans cette période d’après-guerre. Que ce soit les images ou l’art en général, tout demande à être réinventé.
Inventer des images, le motif du renversement
Au fil de l’exposition, les tableaux présentés commencent à avoir un point commun : ils ont tous la tête à l’envers ! Loin d’être un parti pris des commissaires de l’exposition, le motif du renversement est la véritable signature de Georg Baselitz depuis les années 1970. L’artiste pratique la peinture figurative mais cherche également à s’éloigner du réel. En éclatant ainsi l’idée de représentation, il rappelle que l’art est plus qu’un objet ayant pour seul but la beauté. Il fallait faire quelque chose de neuf, se débarrasser des tableaux du passé. Voilà ce qu’est l’art selon Georg Baselitz : faire ce qui n’a jamais encore été fait. En retournant ses toiles, il essaie de provoquer un malaise chez le regardeur. La tête à l’envers, le corps de travers, le visiteur passe en revue différents portraits de personnalités qui ont fait partie de la vie de l’artiste : sa femme Elke Baselit, des galeristes, mais aussi des oiseaux – son motif de prédilection - , comme le célèbre aigle sur fond bleu.
L’aigle est-il entrain de tomber ou de prendre son envol ? L’incertitude guette le regardeur. L’oiseau est peint de manière réaliste, la tête en bas, dans un univers indéfini fait de coups de pinceaux rappelant la peinture expressionniste. De cette manière, Georg Baselitz juxtapose les styles : il jongle entre la figuration et l’abstraction dans une seule et même toile.
Ce qu’il reste… aujourd’hui
Aujourd’hui, l’artiste poursuit son travail de déconstruction de la figuration traditionnelle en s’autorisant une association libre de plusieurs styles. Le parcours de la visite se termine sur ses dernière toiles, témoignant du temps qui passe, de la vieillesse inéluctable. Il travaille sur le motif de la peau aujourd’hui devenue fragile sans pour autant donner un caractère morbide à ses toiles. « L’âge ne nous tombe pas dessus, dit l’artiste, on a le temps de se préparer. ». Au lieu de voir l’âge comme une décroissance, Georg Baselitz le voit comme une croissance : une opportunité de revenir sur ses souvenirs pour se replonger en lui-même, retravailler ses toiles, les « remixer » avec un regard changé. La rétrospective Georg Baselitz au Centre George Pompidou à Paris revient sur la vie de l’artiste à travers ses oeuvres, comme un fil qui, à chaque pan de mur, a de nouvelles choses à révéler. Un éventail d’expérimentations artistiques d’une puissance incommensurable, où la toile renverse le visiteur par l’intensité du geste.
Marie Chappaz